Nicolas Mathieu- Co-founder & Managing Partner of Everswing I Systémicien - Executive coach - Superviseur - Auteur - Conférencier
C’est sans doute le grand mythe des vingt dernières années, le fonds de commerce de tous les consultants et coachs en ressources humaines de toute obédience : il est insupportable, et même suspect, pour un cadre aujourd’hui de ne pas pouvoir décrire le plaisir qu’il prend dans son travail ! Cette exigence sociale, à laquelle tout travailleur doit impérativement se conformer, impose même une lecture “pathologisante” de toute situation dans laquelle un travailleur ne peut souscrire à l’affirmation : « J’ai du plaisir à travailler ». Soit son environnement de travail est pathogène, soit il a un problème personnel à résoudre !
Rechercher le plaisir au travail se révèle pourtant, dès la première analyse, comme un paradoxe insurmontable à résoudre. Tout semble en effet opposer les deux termes. L’étymologie tout d’abord, qui nous apprend que le travail vient du mot tripalium en bas latin. Le tripalium est un instrument formé de trois pieux qui permet de contraindre le cheval pour le ferrer. Par extension, il désigne un instrument de torture. Le travail, par nature, implique-t-il ainsi la coercition, un effort pénible qui peut aller jusqu’au tourment. À part le divin marquis, qui donc pourrait trouver le moindre plaisir à cette activité essentiellement pénible ? Les deux termes s’opposent également du point de vue de leur étendue. En effet, si le travail suppose un effort soutenu qui se déploie dans le temps et qui implique une constance dans son application, le plaisir, quant à lui, suppose une éphémère intensité. Le rapport au temps est ici opposé : durable pour l’un, immédiat et instantané pour l’autre. Contradictoires, les termes le sont également par leur point de vue : réalisation d’une œuvre concrète, le travail est objectif. Il se constate, s’évalue, se décrit, appartient à la réalité tangible. À l’inverse, le plaisir est éminemment subjectif, éminemment personnel et incommunicable. Il est impossible à décrire car il s’éprouve d’abord. Le travail est toujours associé à la notion de valeur. En outre, il est quantifiable. Le plaisir, quant à lui, ne peut être que gratuit et absolu dans sa subjectivité. Le travail enfin, est toujours subordonné à une intention. On travaille pour obtenir ou pour réaliser quelque chose. Le plaisir pour sa part, contient sa propre finalité ; il est fondamentalement l’effet et la fin d’un comportement. Ainsi, la recherche du “plaisir au travail” apparaît-elle comme une entreprise vaine, une tentative désespérée d’allier deux dimensions opposées par leur nature, leur étendue, leur évaluation, leur intention et par leur objet. Face à un tel constat, comment justifier ces tentatives frénétiques pour concilier l’eau et le feu, ces budgets pharaoniques alloués en formation ou en accompagnement ?
L’histoire classique du travail, telle qu’elle est racontée habituellement, représente sans doute l’archétype du schéma tragique du récit d’une entreprise prometteuse dont le contrôle échappe et se révèle finalement mortifère pour ses initiateurs. Le passage du chasseur-cueilleur à l’agriculteur et à l’éleveur correspond au premier grand bond de l’organisation de l’humanité. Avec la sédentarisation, l’espace devient territoire, la spécialisation des activités apparaît, ce qui multiplie les échanges et l’usage du troc dans des centres où se développe l’urbanisation. Bien sûr, les hommes font ainsi l’expérience de la dépendance à autrui et de la vulnérabilité ; l’individu ne se suffit plus à lui-même, il expérimente une perte psychologique du fait de l’expérience de l’interdépendance. La monétarisation des échanges constitue le second grand bond de l’humanité. L’argent facilite le transport de la richesse, favorise la diversification des activités humaines, permet l’accumulation des biens et l’usage asynchrone de la valeur produite.
Comme le dit Emmanuel Lévinas : « Le troc, c’est la barbarie, l’argent c’est l’échange médiatisé et donc, qu’on le veuille ou non, le début de la civilisation »1. Avec l’argent, la valeur peut être ajustée relativement à un médium qui permet d’échapper à la violence du troc et à la loi du plus fort. Évidemment, toute médaille ayant son revers, on peut plonger dans l’illusion que le médium est une richesse en soi et également dévaloriser le travail non rémunéré. Dès lors, la croissance de l’efficacité du travail passe par les conquêtes territoriales, l’esclavage ou la productivité. Les conquêtes territoriales et l’esclavage ne sont plus aujourd’hui d’actualité dans nos sociétés occidentales – quoique… –, et nous sommes condamnés à une course sans fin vers la productivité. Frederick Winslow Taylor, avec la division scientifique du travail, permet effectivement un bond considérable dans le domaine, mais au prix d’une terrible perte du sens pour l’ouvrier spécialisé. De plus, la dissociation de la propriété des outils de production et de la force de travail, conduit, selon Karl Marx, à une véritable aliénation du travailleur à qui la valeur ajoutée qu’il produit a été confisquée. La révolution prolétarienne devait permettre, avec l’avènement d’une société sans classes, la réappropriation de la propriété des moyens de production. On ne peut pas dire que les tentatives historiques tragiques d’une telle réalisation aient permis de conjuguer le plaisir et le travail !
À un niveau plus individuel, face à cette aliénation et à cette perte de sens, trois attitudes sont possibles selon Albert Otto Hirschman : la passivité (loyalty), la défection (exit), ou la lutte et la prise de parole (voice)2. Quelle place, dans un tel contexte, donner au plaisir ? Le plaisir ne peut être que celui d’une reconquête, celle de la condition de sujet autonome par un individu aliéné et transformé en instrument de production. Oui, il y a manifestement un plaisir dans la lutte ! L’engagement social ou syndical permet d’éprouver le plaisir de s’opposer et d’exister avec d’autres, face à un système déshumanisant et privé de sens.
C’est le plaisir et l’ivresse de la révolte contre le "pensum"3. À partir des années 80, la perte de sens n’est plus le seul apanage de l’activité des masses prolétariennes mais c’est l’ensemble de la population des travailleurs qui semble touchée et notamment désormais les nouvelles cohortes de cadres issus du baby-boom et bénéficiaires de l’ascenseur social qui marche alors à plein régime. Cette population désenchantée, hier incarnation du triomphe de l’individualisme, est assez peu portée vers l’action collective.
Désormais, le rapport au travail est d’abord celui d’une nécessité ; le plaisir est donc ailleurs, dans le loisir, dans les activités non rémunérées échappant à la loi du "moliri"4. L’avènement de la société des loisirs qui avait été annoncé dès la fin des années 60 consacre le clivage entre le travail et “la vraie vie”, source de plaisir et d’épanouissement personnel. La dilution du sens dans la vie professionnelle induit celle du socle des valeurs qui le portaient. On peut ainsi considérer les comportements de la fameuse génération Y – zapping professionnel, priorité donnée à la rémunération, manque d’engagement, etc. – comme des symptômes d’une société malade du sens. Évidemment, ce rapport clivé et parfois schizophrène à la vie, n’est pas sans conséquences individuelles et sociales comme en témoigne l’explosion du marché du “développement personnel”.
Le plaisir ultime peut être alors celui du désengagement militant tel qu’il est décrit par Corinne Maier5 dans son best-seller Bonjour paresse. En effet, après la mort de Dieu, la faillite des idéologies et le délitement de toute valeur transcendante à l’individu, notre époque demande à l’entreprise d’assumer ce rôle. Si le XXe siècle a connu le triste avènement de la “guerre totale”, l’entreprise décline aujourd’hui l’idéologie de “l’engagement total”. Le cadre, et par extension tout salarié, est sommé d’être totalement, de toutes ses forces, engagé. On exige de lui non plus un savoir-faire, mais un savoir être conforme aux nouveaux modèles. Avec la métaphore machiniste, l’individu-rouage devenait interchangeable, son utilité pouvait être remise en cause. Désormais, avec la métaphore biologique, l’individu, élément de la cellule-entreprise, est investi de la nécessité existentielle de participer à sa vie et à son développement ; il lui est co-substantiel et métonymique. En contrepartie, l’entreprise, comme chez Google®, s’engage à lui fournir plus qu’un simple salaire ; elle lui offre un mode de vie, l’adhésion à une communauté, la participation au salut de l’humanité par la vente de ses produits… Dès lors, la résistance passive, les actes de désobéissance, la perversion des ressources du système à son seul profit peuvent procurer ce plaisir raffiné et indicible, quasi prométhéen, du vol du feu sacré de la conscience autonome se dressant face aux nouveaux Baals (seigneurs, maîtres). Ce n’est plus du travail, c’est une destinée ! Ainsi, face au pensum ou à la nécessité du moliri, le plaisir possible est d’abord celui d’une reconquête du sens et de l’autonomie permettant de sortir de l’aliénation du travail.
Cependant, il n’est pas donné à tout le monde d’être Prométhée ! C’est épuisant et douloureux ! Aussi, les marchands de bonheur et formateurs de tout poil sont-ils condamnés à proposer une méthadone en opérant un changement de paradigme. L’idée est moins de rechercher le plaisir dans le travail, entreprise décidément trop ardue, que de plutôt profiter de plaisirs au travail ; à la ville comme à la campagne pourrait-on dire. Ainsi, la recherche au jour le jour de petits instants de bonheur, parfois volés, tient-elle lieu de nouvelle philosophie et de nouvelle morale. Désormais, la vie se conjugue au présent dans l’impératif du Carpe Diem, véritable nouvelle religion psycho-comportementaliste. Assez paradoxalement, on peut y voir l’écho de l’invitation de saint Augustin, premier grand philosophe du temps après Héraclite et Démocrite à considérer le “non-être” du temps. Le futur n’existe par définition pas encore ; il ne peut être que l’espérance de ce qui va advenir. Le passé n’a pas plus d’existence, puisqu’il n’est que le souvenir actualisé et présent de ce qui a été. Quant au présent, il échappe perpétuellement, entre le souvenir du moment conçu ou l’espérance du moment à vivre. Il ne reste donc plus que l’irruption de l’intensité de l’instant, déchirure de l’apparente continuité temporelle, surgissement de la transcendance au cœur de mon immanence. Si pour saint Augustin, cette irruption dans l’Histoire est celle du Christ, « le rocher auquel je me cramponne dans le torrent du temps », elle ne peut être pour l’individu moderne que l’accueil du plaisir subjectif de l’instant savouré. Éprouver la succession des plaisirs dans l’exercere du travail quotidien aussi. Cultiver des instants de plaisir au travail, voilà une œuvre morale, la nouvelle éthique personnelle possible au sein de l’entreprise globalisante. D’une certaine façon, il s’agit sans doute, à nouveau, d’une tentative de reconquête de la conscience de s’affirmer comme un sujet face au monde, moins par le sens que par l’expérience.
Comment, dans un tel contexte, échapper à la dictature de l’instant comme seule dimension plaisante possible ? Comment réintroduire la perspective durable du bonheur éprouvé dans le labeur quotidien ? Sommée de répondre, la psychosociologie actuelle nous invite à revenir à la source en explorant les racines de la motivation au travail. Ainsi, quatre grandes polarités peuvent résumer les facteurs de motivation : la sécurité, l’autonomie, la reconnaissance et le sens. La première condition d’un travail motivant est bien entendu de satisfaire au moliri. Il doit apporter un minimum de sécurité (pécuniaire, stabilité, constance des objectifs), le seuil d’acceptabilité obéissant aussi bien ici à la conformité sociale qu’à des modalités éminemment personnelles. L’absolutisation de la relation avec l’entreprise au détriment de son aspect contractuel peut ainsi produire aujourd’hui une insécurité psychologique par le rapport fusionnel et émotionnel qu’elle implique.
Le modèle de Robert Karasek6 – modèle exigence-contrôle-soutien – nous invite, par sa théorisation des facteurs de stress au travail, à considérer l’importance des trois autres polarités des conditions de plaisir au travail. Pour Karasek, c’est le déséquilibre entre la liberté d’action et le niveau des exigences qui produit du stress : peu d’exigence et peu de latitude d’action provoquent de la passivité, peu d’exigence et une grande latitude provoquent un phénomène de “roue libre” délétère à terme, une forte exigence sans latitude d’action produit du stress contraint et une forte exigence corrélée à une grande liberté d’action favorise une attitude active et motivée. À cette grille de lecture, s’ajoute une troisième dimension qui est celle du soutien de l’environnement.
Ainsi, une situation contrainte et stressante peut-elle être pondérée par un fort soutien et la reconnaissance de l’entourage7. Dans cette perspective, il est donc possible d’éprouver un véritable plaisir de travailler, c’est- à-dire de réaliser quelque chose qui soit investi et qui produise du sens pour autant que des marges de manœuvre tangibles puissent être actionnées par un sujet conscient de son autonomie. Éprouver du plaisir dans son travail, c’est donc passer du laborare à l’elaborare, c’est-à-dire faire l’expérience de la réussite de la réalisation, du plaisir à relever un défi, du bonheur d’y être parvenu.
La satisfaction et le plaisir de l’accomplissement ne peuvent être solitaires. En effet, tout travail porte intrinsèquement la présence de l’autre. S’il n’est pas médiateur, autrui est au moins “génétiquement” et implicitement présent dans l’intention de l’activité laborieuse. C’est ainsi que le Massachusetts Institute of Technology (MIT) propose de définir le travail de la façon suivante : toute activité humaine, rémunérée ou non, qui produit quelque chose qui a de la valeur pour autrui.
Aussi, face à la seule logique de l’individu capable de se suffire ontologiquement à lui-même, le personnalisme8 propose de remettre autrui au cœur de l’expérience humaine. L’expérience de notre humanité passe ainsi par celle d’autrui qui nous révèle à nous-mêmes selon un processus de création réciproque et continue. En ce sens, il n’y a pas de sujet sans intersubjectivité ; la relation précède l’existence. En d’autres termes, nous ne naissons pas hommes, nous le devenons par l’expérience de la rencontre, à travers le visage de l’autre.
« Au commencement est la relation » selon la formule de Gaston Bachelard9. Dès lors, l’èthos (caractère, comportement) de la personne est fondamentalement lié à l’expérience de la relation et suppose la prise en compte d’autrui dont nous devenons responsables de sorte qu’il puisse “grandir en tant qu’être relationnel conformément à l’à-venir de son humanité”.
Cette idée de la responsabilité surgissant au cœur de l’expérience de la relation est un thème central pour Emmanuel Lévinas : « La responsabilité est quelque chose qui s’impose à moi à la vue du visage d’autrui »10. Pour ce dernier, la subjectivité ne procède pas d’abord d’une affirmation face au monde mais de l’expérience de l’autre. Il suffit, et il faut, voir un visage pour se sentir « ligoté », « otage d’autrui » et s’en sentir responsable.
C’est cette même intuition qui fait dire au renard au Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry : « C’est le temps que tu as passé pour ta rose qui fait qu’elle est unique. Tu es responsable de ta rose »11. Emmanuel Lévinas a véritablement retourné les questions. Lorsque tout le monde reprenait la question posée par le philosophe allemand Martin Heidegger – qu’est-ce que l’être ? – Emmanuel Levinas a été le seul à dire qu’il y avait plus important que l’Être, c’est l’éthique, c’est-à- dire non pas la morale mais le souci de l’Autre, plaçant ce dernier à la place de l’Être.
Commencer par l’Autre et non par l’Être, c’est commencer par le multiple, par le deux et non par le un12. Levinas retient bien sûr la question de l’Être, mais il estime qu’il vaut mieux ouvrir la pensée à l’Autre et répondre à la question de l’Être à partir de là. Dans cette perspective personnaliste, le travail est l’occasion de la rencontre. Il permet d’éprouver la joie de la coopération et de l’interdépendance de la relation. Ainsi, il est non plus seulement l’épreuve de la perte psychologique de l’autonomie, mais la possibilité d’échanger (tractare). Par nature, il possède une dimension éthique en convoquant la responsabilité vis-à-vis d’autrui. Il devient un médium et un support de l’humanisation. Travailler, c’est donc aussi vivre le plaisir de la rencontre d’autrui dans la réalisation.
L’enjeu de la joie du travail touche plus profondément que la simple aspiration à un bien-être psychologique. Dans le travail, c’est le rapport même que l’homme entretient avec le monde qui est en jeu. Il y a là une dimension philosophique et anthropologique majeure. Changeons de niveau logique et rejoignons l’anthropologie biblique telle qu’elle nous est proposée dans le livre de la Genèse pour mieux comprendre comment l’Antiquité a pu penser dans le travail le rapport de l’homme et du monde. Dans la Genèse, Dieu nous est d’abord présenté comme un travailleur qui se repose son œuvre une fois accomplie. Le travail est donc un attribut divin, la première manifestation divine même.
Nous nous en souvenons, le projet de Dieu sur l’Homme, c’est, dans le premier récit de la création, de faire « l’homme à son image, comme à sa ressemblance »13. La réalisation de cette intention nous est décrite dans le verset suivant : « Dieu créa l’Homme à son image, homme et femme, il les créa ». On voit ensuite Dieu donner délégation à l’homme pour dominer le monde, c’est-à-dire contribuer à son travail créateur et l’accomplir avec lui. Dans ce texte, “ruminé” par des générations, chaque mot compte, or on constate un hiatus entre le projet de Dieu (créer l’homme à son image et à sa ressemblance) et la réalisation du projet : Dieu crée l’Homme à son image seulement. Où donc est passée la ressemblance ? C’est la lecture du chapitre 2 et du second récit de la création qui nous éclaire sur cette disparition étrange. Ainsi, Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie ». Cette aide dont il est question, n’est pas l’aide-ménagère ! Le mot hébreu qui est utilisé désigne l’aide que Dieu accorde en cas de danger mortel ; ainsi, l’homme, dans sa solitude originelle, est en danger de mort. C’est la découverte de l’Autre qui lui permet de se révéler à lui-même. En voyant la femme que Dieu lui présente, Adam, dont on entend pour la première fois le son de la voix, s’écrie : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! ». Adam peut dire “je” lorsqu’il peut dire “tu”. Nous comprenons ainsi mieux le premier chapitre : créé à l’image de Dieu, l’homme est appelé à sa ressemblance par l’expérience de l’altérité. S’ouvrir à la relation, c’est s’ouvrir à la vie. Ainsi, après la chute, au chapitre 3, Dieu constate que désormais l’humanité est blessée dans les deux dimensions divines dont elle avait hérité : la relation qui donne la vie (« Tu enfanteras dans la douleur ») et le travail (« Tu travailleras à la sueur de ton front »). Ce qui est maudit, ce n’est pas le travail, c’est la pénibilité, le coût qui désormais y sera attaché. Le travail, attribut divin qui nous permet, avec la relation à l’autre, de ressembler à Dieu, c’est-à-dire de nous humaniser. Quel renversement de perspective ! Ainsi, dans la perspective de notre civilisation occidentale judéo-chrétienne, nous sommes invités à considérer que le travail, l’opus, c’est-à-dire l’œuvre, nous permet, en entrant en relation avec autrui, de façonner ou transformer le monde. L’enjeu est bien celui d’une nécessité non plus de survie matérielle, mais existentielle qui nous permet de rejoindre la communauté des hommes. Oui, il peut exister un plaisir de travailler, c’est la joie d’être humain.
Plaisir et travail sont deux concepts que tout oppose. Pourtant, l’histoire nous montre que l’homme n’a jamais cessé de les conjuguer. N’hésitant pas à déployer des stratégies sociologiques, philosophiques, psychologiques voire religieuses complexes, l’homme moderne n’a pas renoncé à son projet : être heureux au travail.
The pleasure of working or working like a Roman: from tripalium to opus. Pleasure and work are two concepts which everything seems to oppose. However, history shows us that man has constantly sought to combine them. Willing to use complex sociological, philosophical, psychological or even religious strategies, modern man continues on his quest to be happy.
Coopération, Dignité, Plaisir, Sens, Travail
Coach et superviseur, Nicolas Mathieu enseigne l’approche systémique. Historien, il a
commencé sa carrière en créant deux sociétés dans le domaine du conseil et des systèmes
d'information puis en dirigeant les opérations d’un groupe de marketing international et de
conseil. Co-fondateur de Fabulous Systemic Learning, école de formation à l’approche
systémique, il dirige avec Arnaud Bornens le cabinet Everswing, spécialisé dans la résolution
de problèmes relationnels. Il est l’auteur de La logique de l’acouphène.
1 Lévinas E. Entre nous. Essais sur le penser à l’autre. Paris: Grasset, 1991.
2 Hirschman A. O. Exit, voice, Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States. Harvard University Press, 1970.
3 En latin, le pensum est le poids de laine que l’esclave devait filer par jour.
4 En latin, moliri est un verbe archaïque désignant l’action de travailler ou d’entreprendre en vue d’un bénéfice.
5 Maier C. Bonjour paresse. De l’art de la nécessité d’en faire le moins possible en entreprise. Paris: Éditions Michalon, 2004.
6 Karasek RA, Theorell T. Healthy work. Stress, productivity, and the reconstruction of working life. New york: Basic Book, 1990.
7 De ce point de vue, les expériences mettant en évidence l’effet Pygmalion sont particulièrement éclairantes.
8 Mounier E. Œuvres Complètes. Paris: Éditions du Seuil, 1961-1962.
9 Bachelard G. Au commencement est la relation. Études, Éditions Vrin : 18.
10 Lévinas E. Œuvres. Tome 1 : carnets de captivité et autres inédits. Paris: Grasset/Imec, 2009: 194.
11 De Saint-Éxupéry A. Le Petit Prince. Paris: Gallimard, 2007.
12 En citation de l’article Le tour d’une oeuvre : Le philosophe Emmanuel Lévinas. In Télérama, 28 nov. 2009; 3124.
13 Livre de la Genèse, chapitre 1. Ce récit de la création appartient à la tradition sacerdotale, sa rédaction est postérieure à celle du chapitre 2, le récit Yahviste.
• Lévinas E. Éthique et infini. Paris: Fayard, 1982.
• Lévinas E. Entre nous. Essais sur le penser à l’autre. Paris: Grasset, 1991.
• Ricœur P. Soi-même comme un autre. Paris: Seuil, 1990.
• Ricœur P. Le concept de responsabilité. Essai d’analyse sémantique. In Le juste. Éditions Esprit, 1995: 41-70.
Publié en Mai 2011 dans Soins Cadres n°78